ENTRETIEN. Une association propose de parler l’espéranto au sein des institutions européennes pour contrer la montée en puissance de l’anglais. Utopique ?
Propos recueillis par Baudouin Eschapasse, et publiés le 31/07/2020, dans un article de Le Point.fr
Entrepreneur, fondateur de nombreuses start-up (Planorama en 2009, une société d’intelligence artificielle, mais aussi Yestransfer en 2018, une plateforme de transfert d’argent), Vincent Jacques, 38 ans, préside le Mouvement citoyen espéranto pour l’Europe. Cette association, créée l’an dernier, vise à promouvoir cette langue à l’échelon continental. Explications.
Le Point : Le 26 juillet 1887, Eliezer Lewi (Ludwik) Zamenhof, un médecin né en Russie, publiait un ouvrage à Varsovie dans lequel il promouvait une langue internationale appelée à devenir celle de la planète entière. Signé du pseudonymeDoktoro Esperanto (« le docteur qui espère »), ce livre forme l’acte de naissance d’une langue nouvelle : l’espéranto. Combien de personnes la parlent aujourd’hui ?
Vincent Jacques : On compte autour de 2 millions de locuteurs de l’espéranto dans le monde, dont 100 000 en France. Cette langue, inventée par Zamenhof donc, adopte une matrice commune à de nombreux idiomes : le français, l’allemand, l’anglais, l’espagnol, le latin, le grec et même un peu de russe.
Dans l’esprit de Zamenhof, cette langue commune devait permettre aux habitants du monde de mieux se comprendre et donc de cesser de se faire la guerre…
Le projet de Zamenhof part effectivement d’une idée humaniste. Dans sa ville natale, dans une Pologne occupée par la Russie, plusieurs communautés coexistaient sans se comprendre : les Juifs (qui parlaient le yiddish), les Polonais, les germanophones et les russophones, ces derniers étant avantagés par le statut officiel de la langue russe. Les autres communautés étaient victimes de discrimination, que ce soit dans les entreprises ou les administrations, car elles ne maîtrisaient pas la langue russe. Zamenhof a donc construit une langue nouvelle n’appartenant pas à une nation en particulier, dont la structure est suffisamment simple pour que tout le monde puisse se l’approprier. Cette langue est un trait d’union entre les individus, elle permet aisément de se comprendre à moindre effort.
Comment avez-vous découvert cette langue et en combien de temps avez-vous appris l’espéranto ?
Après des études en France (HEC et Sciences Po) puis aux États-Unis (à UCLA), j’ai effectué un stage à New York au sein du groupe BNP Paribas, en 2003. C’est au cours de ce séjour que je me suis mis à l’espéranto. J’ai appris sur Internet via une plateforme en ligne. En deux mois, j’avais déjà acquis un bon niveau. J’ai été le premier étonné de la facilité avec laquelle je me suis emparé de cette langue. Elle est extrêmement logique, c’est d’ailleurs pour ça qu’elle plaît beaucoup aux scientifiques.
Comment est née votre idée de promouvoir l’espéranto comme langue européenne ?
J’ai commencé ma carrière au Boston Consulting Group avant de devenir entrepreneur. Fervent soutien de la construction européenne, j’ai malgré tout constaté avec dépit que le français ne cessait de perdre du terrain au sein des institutions européennes. Depuis vingt ans, l’anglais s’est imposé partout comme la langue d’échanges au sein des instances politiques qui gouvernent le continent. Si l’anglais occupe une place si importante aujourd’hui en Europe, c’est pour une raison simple : l’Union compte 24 langues officielles sans compter les langues régionales. C’est beaucoup ! Or, seuls 5 % des documents de travail au sein des instances sont traduits. Le faire pour tous serait trop coûteux. Il est pourtant très important que chaque pays fasse entendre sa voix. Rappelons que 70 % de la réglementation française trouve sa source dans des décisions de l’Union européenne.
L’espéranto offre un dénominateur commun à tous les peuples européens
Comment l’espéranto peut-il arranger les choses ?
Comme je l’indiquais au départ, l’espéranto est une sorte de langue matricielle. Elle offre un dénominateur commun à tous les peuples européens. Surtout, c’est une langue étrangère pour tout le monde. Le fait de discuter dans une seconde langue met tout le monde sur un plan d’égalité. Une langue commune renforcerait une culture commune. Nous avons une monnaie commune, mais c’est un peu court pour créer un sentiment d’appartenance. La question de la langue est sensible et l’espéranto respecte la diversité des parlers locaux et, donc, la souveraineté linguistique de chacun. Dans beaucoup de pays (et pas seulement au Nigeria ou au Botswana), l’anglais est vécu comme une langue coloniale. Sa maîtrise plus ou moins bonne crée une société à deux vitesses. Avec l’espéranto, plus de problème !
C’est la raison pour laquelle vous militez pour que l’apprentissage de l’espéranto se fasse dès l’école primaire ?
Oui. Des expérimentations ont été conduites en CM1. Plus tôt on commence, plus facilement les enfants apprennent ensuite d’autres langues. L’espéranto pourrait permettre aux citoyens de demain d’être tous polyglottes. Nous poussons pour que l’espéranto devienne une langue optionnelle au collège, et ce, jusqu’au bac.
Vous avez fondé en 2019 le mouvement « Espéranto pour l’Europe », quel est votre objectif ?
Notre projet peut paraître ambitieux, mais nous souhaitons que l’espéranto devienne la 25e langue officielle de l’Union européenne (UE). Ce faisant, nous voulons donner un souffle nouveau aux instances de l’UE en promouvant l’espéranto. Nous avons appuyé une phase expérimentale d’apprentissage de l’espéranto dans cinq écoles françaises. Nous tissons des liens avec une trentaine d’associations, mais aussi d’académies. L’Association mondiale d’espéranto (UEA) nous soutient dans notre démarche. L’enjeu est important. Nous voulons plus d’équité entre les pays membres de l’Union européenne, mais nous voulons aussi la préservation de la diversité culturelle et linguistique à l’échelon du continent. Ma crainte est vraiment que, sous les coups de boutoir de l’anglais, les langues nationales deviennent des patois locaux.
Le Brexit est donc tombé à pic ?
Oui. Il a contribué à mettre la question sur la table. Mais soyons clairs, ce n’est pas parce que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, qu’on a cessé d’échanger en anglais.
L’épidémie de Covid-19 ne doit pas arranger vos affaires…
Effectivement. Avec la situation sanitaire, notre mouvement n’a pas pu mener beaucoup d’actions ces derniers mois (impossible de réaliser ce que nous avions prévu pour la journée de l’Europe du 9 mai, par exemple), mais nous poursuivons toujours le même combat et les mêmes objectifs ! Nous savons que nous n’y arriverons pas en un jour, nous nous projetons sur le long terme.
Dimitar Berberu
24 janvier 2021 at 14 h 17 minI strongly support Esperanto as the language of AI, with soon majority (compared to people) AI robots/chatbots able to communicate via much easier Esperanto (100x easier to implement in Google Translate).
Paradigm shift is required to quickly learn auxiliary Esperanto, instead of trying to push the platoing efforts to improve the Naturla Language Understanding for 7000+ languages (still ongoing, but we have workable plan B).
The Data Philosopher
Dimitar
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